Lorsque j'ai vidé mon appartement, je me suis débarrassé de tous mes livres. J'étais résolu à les donner à la bibliothèque de la commune, mais celle-ci déclina l'offre sans même savoir de quels ouvrages il s'agissait. Face à mon dépit la responsable me conseilla de les mettre dans des emplacements publics à l'attention des passants. Elle m'indiqua deux lieux où étaient installés ces boites à livres. L'une d'elle était située à l'arrêt du bus, près de la place centrale et du lycée. C'est celle-ci que je choisi. Une à deux fois par semaine j'allais y déposer cinq ou six livres. Des romans, de la science-fiction, de la philosophie, des livres "d'éveil", d'histoire. Lorsque je revenais y déposer mes livres je constatais que les précédents avaient été emportés et que d'autres y étaient déposées. Cette boite était dynamique, souvent pleine, elle n'avait qu'une étagère et pouvait contenir environ une soixantaine de livres de poche.
J'aimais l'idée de venir à différents moments de la journée, ouvrir la porte de plexiglas, regarder les titres des livres et y insérer les miens. Mon manège dura plus d'un mois. Qui étaient ces gens qui fréquentaient cette boite, et qui non content de simplement regarder, prenaient un ouvrage ou venaient en déposer un ? Le rythme avec lequel tous les livres étaient remplacés suggérait que la boite était régulièrement visitée et achalandée par nombre de personnes.
Je me plaisais à imaginer ces lecteurs empruntant ces livres. Étaient-ce des jeunes du lycée, des amoureux de lecture, des habitués, des flâneurs, des curieux... ? J'ai rarement croisé de ces individus qui ouvraient la porte et scrutaient les titres plus d'une minute. Pourtant tous les livres disparaissaient dans des mains inconnues. Aucun de mes livres ne se retrouvaient la fois suivante. Je réapprovisionnais avec jubilation. Était-ce un seul et même lecteur, un collectionneur, un "commerçant" ? Je ne le saurais jamais. Tous mes livres sont en d'autres mains, lus par d'autres esprits, appréciés je le souhaite.
Je suis repassé devant la boite plusieurs fois, elle est toujours bien remplie. Je n'ai emprunté qu'un seul livre. Je lis moins et n'ai plus de place pour les garder. Mais je suis content que les livres circulent et qu'ils vivent leur vie dans leur mystérieuse pérégrination.
Moi-même.