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Journal d’un Métaphysicien de passage.

Journal d’un Métaphysicien de passage.

Déambulations, soliloques, billevesées et autres histoires à dormir debout.


La pure joie d'exister.

Publié par konrad sur 26 Août 2011, 19:14pm

Catégories : #Pensées originales.

Quand j’étais libre et que je lisais dans les livres où des sages méditaient sur le sens de la vie, ou bien sur la nature du bonheur, je ne comprenais pas grand-chose à ces passages.
Je me disais : les sages sont censés penser.
C’est leur métier.
Mais le sens de la vie ? Nous vivons et c'est ça qui a un sens.
Le bonheur ? Quand les choses vont très bien, c'est ça le bonheur, tout le monde le sait. Dieu merci, il y a eu la prison ! Ça m'a donné l'occasion de réfléchir.
Pour comprendre la nature du bonheur, il faut d'abord analyser la satiété.
Tu te rappelles cette soupe d’orge diluée ou cette bouillie au gruau d'avoine sans une once de matière grasse ? Peux-tu dire que tu manges une chose pareille ? Non.
Tu communies avec.
Tu la prends comme un sacrement ! C'est comme le " prana " des Yogis.
Tu le manges lentement, du bout de ta cuillère de bois, tu le manges en t'absorbant totalement dans le processus de manger, en pensant au fait de manger... Et cela se répand à travers ton corps.
Tu trembles en sentant la douceur qui s'échappe de ces petits grains trop cuits et du liquide opaque dans lequel ils flottent.
Et puis - sans presque aucune nourriture - tu continues à vivre six mois, douze mois. Peux-tu vraiment comparer ça avec la façon grossière dont on dévore les steaks ?...

...C'est ainsi que dans nos pauvres carcasses et d'après nos malheureux camarades, nous apprenons la nature de la satiété.
La satiété ne dépend absolument pas de la quantité que nous mangeons, mais de la façon dont nous mangeons.
C'est la même chose avec le bonheur, exactement la même chose.
Lev, mon ami, le bonheur ne dépend pas du nombre de bienfaits extérieurs que nous avons arrachés à la vie.
Il dépend uniquement de notre attitude envers eux.
Il y a un dicton là-dessus dans la morale taoïste : " Quiconque est capable de contentement sera toujours satisfait. "

... Je tire mes conclusions non pas de la philosophie que j'ai lue, mais des récits concernant des êtres réels qu'on rencontre en prison.
Et ensuite quand je dois formuler ces conclusions, pourquoi veux-tu que j’aille redécouvrir l'Amérique ?
Sur la planète de la philosophie, toutes les terres sont depuis longtemps découvertes.
Je feuillette les philosophes antiques et j’y trouve mes pensées les plus neuves.
Ne m'interromps pas ! J'allais te donner un exemple.
Si au camp il arrive un miracle comme un dimanche libre et férié, alors ce jour-là mon âme se dégèle et, bien que rien dans ma situation extérieure n'ait changé en mieux, malgré cela le joug de la prison se fait moins pesant, j'ai une véritable conversation ou bien je lis une page sincère et je suis sur la crête de la vague.
Voilà bien des années que je n'ai aucune vie réelle, mais j'ai oublié tout cela.
Je suis sans poids, suspendu, désincarné.
Je suis allongé là sur mon châlit et je fixe le plafond.
Il est très près, il est nu, le plâtre s'écaille et la pure joie d'exister me fait trembler !
Je m'endors dans une béatitude parfaite.
Aucun président, aucun Premier ministre ne peut s'endormir aussi satisfait de son dimanche.

Alexandre Soljénitsyne.
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K
<br /> En effet il s'agit d'une expérience très qualitative, humainement enrichissante et inspirante.<br /> <br /> <br />
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O
<br /> Très beau témoignage à l'usage des cons sots mateurs. L'expérience qualitative de la satiété comme remède à la société de consommation...<br /> <br /> <br />
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