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Journal d’un Métaphysicien de passage.

Journal d’un Métaphysicien de passage.

Déambulations, soliloques, billevesées et autres histoires à dormir debout.


Nietzsche et les emmerdeurs

Publié par konrad sur 28 Décembre 2013, 14:43pm

Catégories : #Pensées originales.

Nietzsche a clarifié un point important pour tout cheminement spirituel : la différence entre le Oui et le Non. Cette différence est présentée comme un outil de diagnostic, dans le programme d'une philosophie qui se donne comme médecine, comme conquête de la Grande Santé (Gai Savoir, Préface).

Trop de chercheurs de vérité (que Nietzsche appellent des Contempteurs) tournent le dos à la vie et cherchent refuge dans une spiritualité ou une philosophie "malade" qui n'a pour but que d'échapper à la vie qu'ils ne savent tout simplement pas vivre ; ils dénigrent l'injustice de vivre et c'est ce que signifie : "dire non". C'est pour en guérir que Nietzsche s'est fait philosophe, et non ermite ou moine; ou pour le dire en ses termes, "maître" et non "esclave" (Généalogie de la morale). Des maîtres indiens contemporains (Swami Prajnanpad, etc.) ou occidentaux (Desjardins, etc.), à leur tour, mettent en garde contre la névrose et les malentendus d'une spiritualité qui prétendrait faire l'économie d'une psychologie propédeutique à la spiritualité (que Nietzsche et Jung appelleront "psychologie des profondeurs"). Il faut être sain pour espérer devenir saint, se libérer de ses "non", de ses dégoûts.

Dire "non", c'est réagir, juger, s'opposer, refuser, s'indigner, condamner. Cela ne fait, pour Nietzsche, qu'une "morale d'esclave" (terme qu'il emploie dans la Généalogie de la Morale). Au contraire, le "maître" sera celui qui dit "oui, qui affirme, qui commence par prendre les choses comme elles sont, même si c'est pour les transformer. Le maître ne dit pas "oui" par fatalisme, impuissance ou résignation, puisqu'il adapte le monde, il crée. Le maître est créateur (de sens et de valeurs), jusque dans les plus petits détails du quotidien.

Exemple : celui qui SENT MONTER la colère est finalement "l'esclave", puisqu'il est victime de ses émotions, d'abord parce qu'il subit une pulsion, ensuite et surtout parce qu'il voudrait que les choses ne soient pas ce qu'elles sont. Selon le mot d'Ajahn Chah, celui qui "suit" ses émotions ne vaut pas mieux qu'un "poisson pris à l'hameçon". Par contre celui qui SE METTRAIT (volontairement) en colère, considérant que la colère est un moyen habile de poser des limites, et donc de donner forme, est créateur et acteur de sa vie. Mais qui sait se mettre en colère par ruse et non par réaction?

La méthode généalogique sert à s'interroger sur les motivations de nos actions. Il s'agit de savoir si nous agissons ou si nous réagissons. La méthode généalogique est une invitation à débusquer nos "non" et à nous en libérer. Au lieu ou avant de chercher une vérité lointaine et abstraite, le maître commence par se purifier de son refus de vivre, et que Desjardins, à la suite de Swami Prajnanpad, appelait des "non-vérités".

Qui n'a jamais eu affaire à un "emmerdeur"? Qui sait dire "oui" à cet emmerdeur, et en rire innocemment ? Trop souvent la démarche spirituelle n'est qu'un aménagement douillet de la vie, qui consiste à s'entourer de gens délicats et raffinés qui soient tout le contraire de ce que nous entendons par "emmerdeurs". Un tel cocon ne serait-il pas finalement une condamnation de la vie?

Dire "Oui" ne veut pas simplement dire "endurer", cela veut dire observer, scruter patiemment jusqu'à ce que toute "réaction" soit apaisée, et "créer", à partir de cette tranquillité intérieure, les conditions qui vont par exemple transformer l'emmerdeur en partenaire, transformer l'ennemi en ami, l'adversaire en associé, ou d'une manière générale transformer l'obstacle en moyen.

Dire "oui" n'est pas se résigner. Et ce n'est pas non plus s'interdire de juger, ce n'est pas réagir contre les réactions : voilà deux pièges difficiles - les pièges de la névrose - à éviter.

On ne peut pas éviter notre "non" en luttant contre lui, on ne peut pas refuser notre refus sans aggraver notre refus de vivre. Une chenille malade ne pourrait pas devenir un papillon (A. Desjardins). On ne se libère que par la détente, l'observation persévérante, en souriant à nos empêchements.

Bien que les proches du philosophe ou le style emphatique du Zarathoustra n'aient pas laissé de Nietzsche le souvenir d'un homme détendu et souriant, le maître n'est pas un juge sévère ou exalté; il est, même dans les situations conflictuelles, un compagnon souriant et plein d'un humour. Toujours ordinaire, même quand la situation ne l'est pas.

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