Je viens de déposer mon bulletin de vote pour le même candidat, NFP, qu’au premier tour. Je l’ai fait détendu, ce qui était loin d’être le cas suite à la dissolution de Macron. J’étais dans un tel état de détestation de ce président que j’étais près à lui mettre une claque en glissant mon vote pour le RN.
Je m’étonnais de cette rage qui me poussait vers cette extrémité alors que, sans être militant, je suis de sensibilité de gauche.
Je m’étais confié il y a quelques jours, sur le blog d’un intellectuel de gauche social-démocrate je dirais, sur ce doute quand à ma tentation de voter pour le RN. Quelques commentateurs m’avaient exprimé leurs arguments en m’enjoignant de ne pas le faire, tout en comprenant, pour certain, mon questionnement.
Puis, au fil de ces échanges, le maître des lieux, possiblement irrité par mes interventions - ce que je peux parfaitement comprendre du point de vue d’un propriétaire de restaurant par exemple, de choisir sa clientèle - me répondit directement ainsi ; "Il n’y a pas que les trépignements d’enfant gâté chez vous : vous partagez également leur candeur…"
Dans un autre extrait, alors que je trouvais son commentaire gorgé de susceptibilité, il me répondit : "Plutôt que "susceptible", je dirais "sensible". Sensible à la médiocrité de votre justification pourquoi vous allez voter RN.[...]" Ensuite, m’adressant à un autre intervenant, je concluais mon message par : "Une fois cet évènement passé je retournerais à mes rêveries." Sur quoi me répondit le maître de céans : "Faites-nous le plaisir d’interrompre vos rêveries : elles sont éminemment toxiques."
Mon ultime réponse qui ne faisait que constater mon inadéquation à la ligne politique ne passa pas la porte du modérateur… Fin des échanges.
Je fus un peu contrarié par le ton des messages sans en comprendre vraiment le sens.
Puis, ce matin, la lumière fut ! En surfant sur le web et par une suite de liens, je tombais sur cet article du Nouvel Obs. Là je découvrais, ce dont j’avais connaissance, que la sociologie des électeurs du RN sont des gens peu diplômés et socialement plutôt en bas de l’échelle. Ce qui est mon cas.
Je décelais, dans les propos de cet intellectuel de gauche, ce qui est très bien écrit dans l’article et que je ressentais chez macron, la suffisance de celui qui se considère "au-dessus", en un mot, le mépris.
Dans ces échanges je compris le décalage abyssal entre les "élites" de gauche comme de droite envers le "peuple". La faillite de la gauche est d’autant plus condamnable qu’elle a toujours été du coté des plus démunis. On a vu, surtout depuis le référendum de 2005, que la gauche a abandonné les "sans dents", "ceux qui ne sont rien", ce peuple dont elle s’est détaché sans plus le comprendre et qui lui fait honte. Elle s’est rétractée sur l’idée qu’elle était détentrice de la vertu morale démocratique et universaliste, dernier vestige dont elle se drape. On l’a vu au lendemain du premier tour ou comme un seul homme elle s’est repliée pour faire barrage, faisant fi de ses convictions, prête à relégitimer celles et ceux contre lesquels elle s’était affrontée hier.
Lorsque je relis les mots de cet intellectuel de gauche adressés à autre homme de gauche : "Trépignement d’enfant gâté, médiocrité de votre justification, vos rêveries éminemment toxiques." Je me dis que la rupture est si béante qu'elle va être difficile à combler. La gauche s’est embourgeoisée, elle ne sait plus parler que dans un entre-soi qui ne la distingue plus de ceux qui dirigent les affaires de la société. Elle ne propose plus d’utopies, son imaginaire est pollué de néo-libéralisme, elle ne fait plus rêver.
Elle n’est pas morte pour autant, mais il va falloir plus que des Ruffin, ou un Smic à 1600 euros pour réenchanter le "peuple de gauche".
Il va lui falloir sortir de la définition de l’arc républicain mortifère. Désigner la LFI et le RN comme des partis qui ne sont pas républicains c’est mettre pratiquement la moitié des électeurs de ce pays à la marge. C’est comme dire à un individu noir ou arabe, né ici depuis deux ou trois générations, tu n’es pas totalement français. C’est le reproche justifié que l’on peut adresser au RN. Mais dire que ses électeurs, ou ceux de la LFI, qu’ils ne font pas partie de l’arc républicain, c’est de même nature. C’est engendrer le ressentiment et celui-ci est une passion triste source de grands périls.
Si l’on voulait réunifier les français par un acte fort, je me prends à rêver qu’au lendemain de cette élection, quel que soit le résultat, tandis que beaucoup appellent à un gouvernement de coalition, que justement celui-ci se fasse aussi avec des gens de la LFI et du RN, en appelant à ce qui nous dépasse ; l’intérêt de la France.
Bien sur cette utopie ferait sourire et immanquablement se dresseraient toutes sortes d’obstacles, mais déjà si la proposition était sincère elle aurait le mérite de mettre les responsables politiques face à leurs responsabilités et remettrait sinon de la concorde, au moins du dialogue dans une société qui s’est tellement "archipellisée" selon le mot d’un sociologue, qu’elle ne trouve plus le chemin du bien commun.
Moi-même.