Jeux Olympiques, vacances, guerres, attentats, politique intérieure agitent notre actualité tant et si bien que nous ne savons plus où donner de la tête. Et pourtant, dans ce maelstrom d'informations diverses et peu convergentes, une information - pas si nouvelle que ça - passe sous les radars de nos médias. Il s'agit de l'IA - Intelligence Artificielle - qui contrairement à nous, ne dort pas. Elle se développe sans arrêt dans tous les domaines de nos vies, mais en sourdine, sans que cela ne fasse trop de bruit de peur de générer la panique. Il faut être intéressé au sujet ou œuvrer dedans pour en saisir les enjeux. Quelques nouvelles, de ci de là, de loin, nous évoque les risques de perte d'emploi ou la multiplication de "fausses nouvelles" dont est capable l'IA. Celle-ci génère des textes de qualité sur n'importe quel sujet et des images plus vraies que nature, des "réalités alternatives" qui bousculent nos représentations. Ce ne sont plus les "cols bleus" qui sont concernés - ceux-là ont disparus depuis bien longtemps dans la mondialisation heureuse sous les tropiques - ce sont les "cols blancs", les avocats, les juges, les journalistes, les architectes... à terme. Toutes les professions du "savoir" qui sont sous pression car l'IA est meilleure dans le diagnostique, dans la recherche d'information ou la reconnaissance et la compilation de faits. Elle est imbattable par sa capacité de calcul et en plus elle se développe et apprend de plus en plus. Elle engrange toutes les données disponibles, les traite et délivre son verdict ; sans appel.
Je viens de lire un livre policier, un thriller d'anticipation : Control. De P.W. Singer et August Cole. Édité chez Folio policier. Vraiment pertinent car on sent que les auteurs connaissent le sujet et donc en cernent les contours. Voici un extrait que je trouve intéressant, mais je recommande la lecture de l'ouvrage. Il s'agit d'un dialogue entre l'agent du FBI - Keegan - chargée d'entrainer et de valider le robot IA appelé TAMS et l'ingénieur chargé du projet technique -nommé Modi. Cet extrait, page 282 à 285 pose la question essentielle, à laquelle certains ont déjà répondu par l'affirmative, l'IA est-elle dotée d'une conscience ? Question qui ne peut que nous interroger et nous subjuguer devant les formidables progrès et enjeux de notre création. A suivre, donc.
"(Keegan) ; Je vois un vrai potentiel concernant les situations tactiques et l’analyse en temps réel. Mais il va falloir que vous trouviez la bonne personne pour l'accompagner. Toutes les rues que nous parcourons lui sont familières ; il dispose des bases de données. Mais une rue n'est pas seulement une rue. Ça ne se limite pas aux gens, aux véhicules, au temps, aux oiseaux et tout le reste. C'est une sensation. Ce qui fait que non seulement chaque rue est différente, mais qu'en plus elle ne sera pas la même chaque fois que nous y passons en voiture ou à pied. Par exemple, le restaurant Ben's sera différent une prochaine fois - il n'y aura sans doute pas deux débiles en train d'essayer de braquer la caisse.
- Et vous ne vous jetterez peut-être pas non plus d'un balcon, fit remarquer Modi.
- Vous plaisantez mais, non je ne le referai pas. Je ne devrais pas. Pas parce que ça me briserait encore le dos, mais parce que c'est une manœuvre que j'ai déjà tentée. Elle est prévisible. C'est à dire exactement ce que veux TAMS. Mais être prévisible, c'est aussi le meilleur moyen de se faire tuer. Ça me fait penser à cette citation d'un général allemand de la Seconde Guerre mondiale qu'on nous a enseignée chez les Marines : "Quand vous êtes confrontés à la même situation de combat, ne faites jamais la même chose."
- Je vois...Mais vous disiez par ailleurs que nous allions devoir trouver la "bonne personne", répondit Modi. Est-ce vous ou quelqu'un d'autre ? Que vouliez-vous dire par là ?
- Ce que je voulais dire, c'est qu'il sera capable, j'imagine, de déchiffrer tout humain en face de lui à partir de ses expressions faciales, de ses données biométriques, de ses performances passées, toutes les données qu'il pourra récolter. Dites-moi, pensez-vous qu'il pourra anticiper de plus en plus précisément ce que je vais faire, d'après l’analyse de la base neurologique et biologique de mes futurs comportements ?
- Absolument. C'est ce qui ferait de lui un sacrément bon joueur de poker, ajouta Modi.
- Ce n'est pas la première fois que j'entends ça, répliqua Keegan.
- Comment ça ? s'étonna Modi.
- Willow Shaw (dans le livre, je l'identifie à Elon Musk) . Vous le connaissez ? Il a organisé une rencontre pour étudier TAMS. Elle ne mentionna pas le lieu.
- Si je le connais ? Pas autant que vous, maintenant. Mais bien sur, je sais qui c'est.
- Il m'a dit, en gros, que nos émotions n'étaient que de simples données dérivées de notre état physique du moment, et qu'on pouvait les pirater comme n'importe quoi d'autre.
- Ce n'est pas si simple, agent Keegan, nuança Modi. Ce que vous évoquez, les auteurs de science-fiction d'antan, avant l'avènement de l'IA, l'ont souvent mal compris. En essayant de prédire comment les machines allaient un jour s'approcher d'une véritable intelligence, comparable à celle des humains, ils confondaient sentience et sapience. La sentience, ce n'est pas un robot qui deviendrait un être conscient ; vous savez, le genre qui allait forcément se soulever et "tuer tous les humains". C'est simplement la capacité à percevoir et comprendre son environnement. La sapience, en revanche, ça, c'est le gros morceau. Le terme vient du mot latin qui signifie "sagesse", qu'il s'agisse juste de celle que nous appelons "sens commun", ou du genre sagesse qui nait d'une analyse plus profonde d'une situation, au-delà des faits bruts. La manière dont nous autres humains nous cernons les uns et les autres relève davantage de la sapience, et nous sommes encore loin de comprendre comment elle fonctionne. Il désigna les images pixelisées sur le mur.
- Une machine peut apprendre des motifs récurrents, et même des motifs si complexes qu'ils dépassent de beaucoup les capacités de calcul de notre cerveau. Mais notre manière d’interagir est encore beaucoup plus complexe que ça, pour la simple raison qu'elle est liée à la question fondamentale de savoir comment nous nous définissons nous mêmes comme Homo sapiens. Vous remarquerez en passant que le nom que nous avons donné à notre espère repose sur cette idée de posséder une sagesse et une compréhension plus approfondies.
- J'en conclus que vous n'êtes pas d'accord avec notre milliardaire...
- Il possède peut-être son propre avion, mais non. Les émotions sont liées à toutes sortes d'indices que vous ou TAMS pouvez apprendre. Mais comprendre vraiment ce que signifie une émotion, cela demande de la sagesse.
- Donc quand TAMS s’énervera contre un autre robot-chauffeur, on saura qu'ils ont franchi la ligne, en tant qu'espèce ?
- En quelque sorte, mais il ne fera toujours que simuler une émotion."