Enfants nous jouions à toutes sortes d’aventures. La nature offrait à notre imagination un terrain propice à son développement. Nous inventions toujours les mêmes jeux sous des formes changeantes sans jamais en épuiser le plaisir. Nous n’avions bien souvent qu’une règle ; On joue pour de vrai ! Ce qui signifiait, on ne fait pas semblant. Cette simple recommandation décuplait notre ardeur et nous faisait entrer dans une sorte de sanctuaire où le vrai acquiert une transcendance. Nous jouions sérieusement à être les aventuriers intrépides de nos histoires.
Le jour déclinant, une fois à la maison, repus de s’être donné à fond, il ne nous venait pas à l’idée lors du diner que nous étions réellement le cow-boy ou l’indien ou le chevalier de nos jeux. Quand bien même persistait dans notre esprit les effluves d’une bagarre mémorable. Nous savions qui nous étions. Des enfants qui savent faire ce qu’il y a de mieux : jouer.
En grandissant, formatés par l’école et l’éducation, nous avons abandonné le jeux pour le sérieux. Le vrai est institué en dogme, le sens univoque et le chemin balisé. Nous voilà désormais celui qui habite la fonction. Chef de gare, opérateur de saisie, technicien de surface, programmateur de système informatique, gestionnaire de comptes, boulanger, cariste ou agriculteur. Nous sommes identifiés à ce rôle pour de vrai. Parfois cette identité nous pèse, nous accable de soucis qui rendent l’existence dramatique. L’enfant en nous ne rit plus, son regard s’effiloche en lambeaux d’incompréhension. Il se rabougrit comme ce vieillard dont il sait de façon sûre et certaine que ce n’est pas lui malgré l’image que lui renvoie le miroir. Cette nature toujours naissante de l’enfant, irréductible à toutes les déterminations, ne peut vieillir ni mourir.
Cette conscience résiste silencieusement mais non sans douleur à l’anéantissement. C’est l’adulte lui-même qui enfoui l’enfant sous ses bonnes raisons, sous le sérieux et la responsabilité. Son drame c’est de ne plus jouer, de ne plus voir ni d’entendre que l’on apprend bien qu’en s'amusant. A force de fragmenter, séparer toutes choses pour les faire entrer dans sa raison il les a tué. L’enfant sait que tout est vivant, sensible, l’arbre qui ondule sous le vent, la pierre qui sonne sous le pas, le vers qui rampe dans la terre. Tout chante. L’enfant nous a légué cette clé, c’est celle de l’émerveillement, cette capacité à porter un regard neuf sur toute chose sans crainte et sans jugement. La retrouver s’est accéder à un trésor toujours présent d’une valeur inestimable. C’est Être.
Moi-même.