"La chambre numéro 14 de l'hôtel Sainte Foy à Conques est percée de deux fenêtres dont l'une donne sur un flanc de l'abbatiale. C'est dans cette chambre, se glissant par la fenêtre la plus proche du grand lit, que dans la nuit du mercredi 26 juillet 2017 un ange est venu me fermer les yeux pour me donner à voir.
Dans l'abbatiale, on donnait un concert. Je regardais la nuit d'été par la fenêtre, ce drapé d'étoiles et de noir. Un livre m'attendait sur la table de chevet. Mon projet était d'en lire une dizaine de pages, puis de glisser mon âme sous la couverture délicieusement fraîche de la voie lactée.
Mais.
Mais en me penchant pour fermer les volets de bois, je vis les vitraux jaunis devenir plus fins que du papier et s'envoler. Le plomb, le verre et l'acier qui les composaient, plus légers que l'air, n'étaient plus que jeux d'abeilles, miel pour les yeux qui sont à l'intérieur des yeux. Des lanternes japonaises flottant sur le noir, épelant le nom des morts. A cette vue je connus l'inquiétude apaisante que donne un premier amour.
Au matin, poussant les volets, je fus accueilli par une brume de peinture chinoise errant sur la colline. Je m'étais couché au vingt et unième siècle. Je me réveillais au septième. Une fumée de nuages trainait au ciel. Une rouille verte réjouissait les toits. La mousse est le manteau de Dieu, dont il déchire des pièces pour les jeter sur les épaules frileuses des morts. Cette floraison timide qui ne va pas jusqu'aux fleurs, cette échine vert-de-gris d'un muret, la flatter de la main, c'est faire entrer dans son cœur la pensée qui délivre de toutes pensées, le consentement à vivre donc à perdre.
Un mois à passé. Les vitraux brûlent toujours sous mes paupières, dans l'abbatiale de mon corps."
Christian Bobin. La nuit du cœur. Folio.