- Jeune homme, déclara avec une condescendance aimable la barbe blanche du Professeur Mumu, jeune homme, vous tombez bien.
Vous voulez visiter les Explicateurs, à ce qu’il parait ?
- Oui, mentis-je, car je songeais qu’un ou deux litres de rouge auraient bien mieux fait mon affaire.
- Eh bien, je commençais justement ma tournée parmi eux ; suivez-moi, vous vous instruirez.
Mais je dois vous donner d’abord quelques explications.
(" Ça y est, lui aussi " me dis-je, mais je fis semblant de tendre une oreille avide.)
- Les explicateurs se rangent entre deux types extrêmes, les Scients et les Sophes.
Les premiers cherchent à expliquer les choses, les seconds expliquent tout ce que les premiers ne parviennent pas à expliquer.
" Les Scients prétendent que leur nom vient du latin scire, sciens, de même que le mot science, et qu’il est synonyme de savants.
En réalité, il s’apparente à scier, les Scients s’occupant principalement à tout scier, hacher, pulvériser et dissoudre.
Les Sophes font venir leur nom de celui de Sophie, qui est leur déesse, célèbre par ses malheurs et ses avatars.
On a prouvé qu’en fait le mot n’était qu’une corruption de " sauf ", surnom que les sages leur donnaient jadis pour résumer certaines devises qu’on leur attribuait par dérision, telles que : " je sais tout, sauf que je ne sais rien ", " je connais tout, sauf moi-même ", " tout est périssable, sauf moi ", " tout est dans tout, sauf moi ", et ainsi de suite.
René Daumal. La Grande Beuverie.
Ed. L'imaginaire Gallimard.