" (...) Je me pose souvent la question, quand je parle à quelqu'un qui est lancé sur cette voie : si la chose qu'il vise perdait son identité de chose ultime, est-ce que ça l'intéresserait encore ? Quelquefois, je me dis non, il n'en aurait plus rien à foutre. Il faut chercher la chose, pas le nom de la chose. Quel que soit le langage que l'on emploie, on trouve toujours cette possibilité de perversion. Je cherche Dieu mais ce n'est pas le caractère,divin de Dieu que je recherche, je n'en ai rien à foutre du caractère divin. Je pense qu'il est inévitable, avant que la commotion décisive ne se produise, que les choses se passent, en gros, ainsi. Et puis il n'y a pas à jeter la pierre à la personne qui commet ces petites erreurs, tout le monde les commet, elles sont inévitables. Ça n'empêche pas qu'on puisse légalement les dénoncer. Je pense que, d'une façon tout à fait pratique, l'homme qui est, comme on dit maintenant, en « recherche spirituelle » - ce qui vraiment est une expression qui m'accable, il y a une résonance idéologique la-dedans qui est tuante, et qui suinte l'ennui en plus, c'est vraiment une expression épouvantable – cet homme devrait tout de même savoir qu'on ne peut pas se conduire, sur cette voie glorieuse, n'importe comment. Il faut que l'expérience elle-même – la teneur même du vécu – soit suffisante, qu'elle suffise pleinement, que si personne d'autre ne le sait ça n'a aucune espèce d'importance, et que si elle n'a pas de nom ça n'a aucune importance non plus. Je ne voudrais pas faire preuve de puritanisme mais il est souhaitable d'aller dans cette direction avec des idées claires. Avec des idées claires c'est souhaitable, mais avec le cœur pur c'est mieux.
Il y a une perversion constante ; avant c'était un peu moins le cas mais ça a toujours été présent ; maintenant, comme ce n'est plus contrôlé, ça donne lieu à une espèce de pullulement effroyable, ça se multiplie comme de la mauvaise herbe. Les gens disent fréquemment : « Je vais vers l'éveil ». la question à se poser c'est : « Est-ce que je vais vers l'éveil ? Ou est-ce que je vais vers l'éveil en tant qu'il me permettra d'enseigner et d'être sage ? Est-ce que je vais vers la sagesse ou est-ce que je vais vers la condition de sage ? » Très difficile, ça se touche de très près. Je n'ai encore jamais rencontré quelqu'un chez qui ce glissement de la sagesse à la condition de sage, ne soit pas imminent, c'est toujours plus ou moins là.
Il faut absolument se déshabiller de ces saloperies ! En tant que sage, je me tue, je m'évacue comme une ordure ; en tant que détenteur de la vérité, j'ai pour moi-même le mépris le plus absolu, il faut absolument se déshabiller de ces saloperies.
Je connais des gens chez qui l'éveil se produirait – comme il a pu se produire chez toi, Charles – ils diraient : « Ah, ce n'est que ça ? », et ils le foutraient à la poubelle. Parce que l 'éveil n'a pas ce caractère monumental et que, dans le fond, ça ne va leur apporter dans leur vie (ou du moins l'idée qu'ils se font de leur vie) que des emmerdements ; parce qu'ils vont tenir un discours qui ne plaira absolument à personne, ça ne leur vaudra ni la Légion d'Honneur, ni les applaudissements, ni la fortune, rien du tout. Ça a l'air très moral, ce que je dis, mais C'EST très moral ; on ne peut chercher Dieu n'importe comment et pour de mauvaises raisons, je crois qu'il y a une morale, une certaine éthique de l'éveil."
Stephen Jourdain. La parole décapante.
Entretiens réalisés par Charles Antoni.
Charles Antoni L'Originel.