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Journal d’un Métaphysicien de passage.

Journal d’un Métaphysicien de passage.

Déambulations, soliloques, billevesées et autres histoires à dormir debout.


La Grande Beuverie

Publié par konrad sur 9 Avril 2011, 15:37pm

Catégories : #Poésie

"- C'est vrai, j'oubliais. Vous êtes trop jeune pour avoir connu cela.

On appelait jadis acteur un homme qui prêtait son corps à une force, à un désir ou une idée, c'est à dire, comme on disait pour abréger, à un dieu qui vivait par lui.

Il savait appeler les dieux, il savait les laisser couler dans son corps.

Par lui les dieux conversaient avec les hommes.

Ils dansaient ensemble, chantaient ensemble, luttaient ensemble, parfois s'entre-dévoraient, parfois banquetaient, enfin ils vivaient ensemble, les hommes et les dieux.

L'acteur faisait donc un métier pur et utile.

Nos "agis" d'aujourd'hui traduisent : un métier purement utilitaire.

Eux, ils sont désintéressés.

Ils sont au service de l'Art ; vous savez ce que cela veut dire.

Tandis que les acteurs prêtaient leurs corps aux dieux, aujourd'hui l'on fabrique des dieux sur mesure pour en revêtir les agis.

A supposer qu'un agi soit bancal du coeur, bigle du cerveau, bossu de l'entendement, boiteux de la conscience et chauve du sens ironique, on demande à un Fabricateur de discours inutiles d'inventer un dieu doué des mêmes particularités.

Alors on fait cadeau à l'agi de ce pauvre dieu fantôme, qui pourtant, dans bien des cas, est encore plus fort que lui.

En se donnant un mal de chien savant, l'agi arrive plus ou moins à faire vivoter dans son semblant de corps ce semblant d'être.

le public crie au miracle, admire et paie."

 

René Daumal.

La Grande Beuverie. Gallimard.

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