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Journal d’un Métaphysicien de passage.

Journal d’un Métaphysicien de passage.

Déambulations, soliloques, billevesées et autres histoires à dormir debout.


Le chemin du serpent.

Publié par konrad sur 26 Mai 2013, 14:14pm

Catégories : #Poésie

   Il m’arrive, quand je pense aux hommes célèbres, d’éprouver pour eux toute la tristesse de la célébrité.

La célébrité est un péché plébéien.

C’est pourquoi elle doit blesser toute âme raffinée. C’est un péché plébéien parce que se trouver placé en évidence, exposé aux regards de tous, inflige à un être raffiné l’impression d’une parenté extérieure avec ces gens qui font du scandale dans les rues, qui braillent et gesticulent sur les places publiques.

Un homme qui devient célèbre perd toute vie intime : les murs de sa vie privée deviennent comme du verre ; il semble toujours s’habiller avec outrance, et ses faits et gestes les plus minimes, parfois ridiculement humains, qu’il souhaiterait invisibles, voilà que les verres grossissants de la célébrité en font de spectaculaires broutilles, dont le caractère public ne peut que gâter son âme ou l’affliger. Il faut une bonne dose de grossièreté pour être à l’aise dans la célébrité.

   Par ailleurs, la célébrité est non seulement un péché plébéien, c’est aussi une contradiction.

Alors qu’elle semble donner aux gens force et valeur, elle ne fait en réalité que les dévaloriser et les affaiblir.

Un génie méconnu peut gouter la douce volupté que lui donne le contraste entre son obscurité et son génie ; et il a le loisir, se disant qu’il serait célèbre s’il le voulait, de mesurer sa valeur à sa plus juste mesure, c'est-à-dire lui-même.

Mais, une fois connu, il ne lui est plus possible de revenir à l’obscurité.

La célébrité est irréparable. Il en est d’elle comme du temps : nul ne peut en remonter le cours ou s’en dégager.

   Et c’est pourquoi la célébrité est également une faiblesse.

Tout homme qui mérite la célébrité sait aussi qu’elle n’en vaut pas la peine.

Se laisser aller à la célébrité, c’est une faiblesse, une concession à ce bas instinct, féminin ou barbare, de vouloir frapper les yeux et les oreilles.

   Je pense parfois tout cela de façon colorée.

Et la phrase selon laquelle être " un génie méconnu " est le plus beau de tous les destins prend pour moi une évidence aveuglante ; il me semble que c’est non seulement le destin le plus beau, mais aussi le plus grand.

   On dit que les adeptes de la Rose-Croix – secte hermétique de mages pratiquant l’ésotérisme – ont découvert, depuis le début des temps, le secret de la vie éternelle, l’élixir de longue vie ; qu’ils passent sans jamais mourir d’époque en époque, qu’ils traversent les cycles et les civilisations, anonymes et ignorés de tous, et, néanmoins, en raison de la grandeur de la chose transcendantale qu’ils ont créée, plus grands que tous les génies évidents de l’humanité. Leur secte a pour précepte, qu’ils suivent rigoureusement, de ne jamais se faire connaitre.

Leur présence éternelle, qui vit en marge de notre éphémérité, vit également bien loin de notre petitesse.

   Avec quelle nostalgie mon âme suit des yeux ces figures imaginaires – et qui sait à quel point elles ne sont pas réelles ? – qui accomplissent, véritablement, le destin suprême de l’homme : le maximum de pouvoir allié au minimum de publicité ; et le minimum de publicité, sans nul doute, parce qu’ils ont le maximum de pouvoir.

Le sens de leur vie est divin et nous demeure lointain. Il me plait de croire que s’ils existent, c’est pour que je puisse me faire une idée plus noble de l’humanité.

 

Pessoa. Le chemin du serpent. Christian Bourgeois éditions.

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